Akila
MOUHOUBI
Artiste peintre
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"entre source et nuage"
“ Depuis longtemps, le travail apparent d’Akila MOUHOUBI s’accompagne d’un grand respect du support privilégié, le papier.
On osera même aller jusqu’à dire que le travail privilégié est depuis longtemps le papier.
Bien entendu, ce que reçoit le support de couleur, d’attention, de travail, de signes, de matière est d’une importance considérable, mais la science qui se déploie n’est ni du geste ni de l’ordre du récit, elle provient de la profonde complicité entre l’artiste et le réceptacle de ses efforts.
Bien qu’elle emploie aussi, à égale importance, la toile libre, sans chassis ni tension, cette liberté est avant tout celle de la feuille.
Bien qu’elle utilise la réserve pour faire remonter le blanc du textile, ce blanc est toujours le blanc du papier.
Le papier n’est pas une malédiction du travail d’Akila : de réceptacle de l’écriture ou de l’enluminure, il va évoluer vers le rôle de confident des sensations les plus intimes du peintre : il faut dire qu’il reçoit et comprend si bien les marques les plus imperceptibles du froissage le plus discret, de la griffure la plus légère, de la déformation la plus infime due à un trop-perçu d’eau ou de peinture.
C’est ainsi que se nourrit le support, c’est ainsi qu’il vit, réagissant jour après jour aux évaluations prudentes de l’artiste. A l’ambiguïté de ses intentions partagées entre le décoratif et la mise en place d’un vocabulaire simple, donc efficace, donc reconnaissable, qui dirait avec certitude et rigueur des choses simples : la variation constante de la lumière, la sensation ultime que tout est paysage, la sensualité abstraite liée à l’apparition furtive des mythes diurnes et nocturnes.
Si le rite du papier, le respect qui l’accompagne et son importance maintenant confirmée, ne change jamais radicalement, les fluctuations du rapport au sujet de la peinture restent encore importantes : tantôt on verra poindre une figuration que l’on croyait écartée au profit de la vibration et de la nuance, tantôt s’affirmeront les traces envisageables d’un modèle calligraphique (non pas lié à une écriture spécifique, mais une gestuelle réinventant les techniques du calligraphe).
De ce balancement naît un rythme interne à l’oeuvre, un rythme à long terme, qui, au lieu de souligner les différences ou les félures, les intègre à une cohérence sensible.
Pour Akila, il n’y a pas lieu de choisir entre le reconnaissable et l’inconnu.
Sa peinture, son dessin se nourrissent des minuscules tiraillements issus des différences entre abstraction et figuration, différences finalement pas aussi considérables que cela : les couleurs, les techniques, les préparations, les préoccupations sont les mêmes.
Seule change la ligne d’arrivée.
Ce but manichéen, qui peut se situer d’un côté ou de l’autre de la ligne de partage entre identification et mystère, est le travail au jour le jour : il suit le fil des préoccupations. S’il anticipe parfois ce fil ténu, il ne l’excède jamais, ne le tend jamais jusqu’à le casser.
La peinture reste légère, le geste calme : que s’affirme par exemple un paysage, un ciel identifiable, et le travail d’Akila le cerne et le suit.
Que se disent des fragments de sens et de signes, le travail les aide tout autant à se parfaire.
L’interdit de l’image ou le snobisme de l’hermétique ne sont ici ni l’un ni l’autre de mise. L’enjeu n’est pas pour Akila un enjeu temporel. Il n’est pas d’imposer un style, une marque reconnaissable à toute force. Il n’est pas non plus de creuser un immuable sillon aux côté de tous les autres sillons tracés par tous les autres créateurs contemporains.
Si Akila met dans la peinture, dans la saisie colorée du monde qui la sienne, un enjeu (ce qui n’est pas si certain), il est, serait naturel de croire qu’il concerne la durée ; mieux, qu’il a tout à voir avec le temps. Pas le temps évènementiel et chronologique, pas plus le temps météorologique que le temps politique.
Le temps personnel de cette création du fil du temps pourrait être défini comme biologique. Comme si lié à la personne et à la personnalité de celle qui conçoit qu’il en serait indémêlable.
De la même façon moteur et ingrédient de la conception, c’est ce temps qui fait trace, qui fait poids dans chacun des dessins, chacune des peintures qu’il nous est permis de voir.
C’est aussi ce temps qui relie chaque oeuvre, efface les différences catégoriques, masque les sauts brusques, répare les absences.
La mise en relation qui en résulte tient à la fois de la patience et du miracle : les petites choses qui s’y manifestent s’imposent vite comme des grandes leçons."
François BAZZOLI 1991
Archéologie de soi-même
Au-delà de la couleur, de la matière, du sujet ou de la forme, regarder attentivement une peinture ou un dessin est une façon de descendre dans les arcanes de sa conception, non seulement pratique mais mentale. Et parfois même conceptuelle.
Regarder attentivement les œuvres d’Akila Mouhoubi permet d’abord de comprendre comment elle abolit, sans l’afficher ostensiblement, les frontières entre le dessin et la peinture, le présent et le passé, la figuration et son effacement. La série, qu’elle pratique presque systématiquement, lui permet de déplacer les images matricielles (la miniature, par exemple) pour naviguer à l’intérieur de la référence, puis n’en garder, à la longue, que les structures les plus minces, les plus diaphanes, parfois les plus conceptuelles. Pourtant, et c’est la force de son travail, rien de besogneux ou de contraint dans cette démarche : le résultat est toujours le but et non la méthode, qui disparaît en même temps que l’image de départ.
Car l’image, qu’elle provienne d’Alger ou de Marseille, est toujours le point de départ de ses recherches, et cette image référentielle est aussi, la plupart du temps, un souvenir personnel, une partie de son histoire. Ainsi, une partie arrachée d'un dessin fait à Alger se retrouvera incluse, bien plus tard, dans une peinture exécutée à Marseille. Une image vue à Marseille peut aussi continuer à hanter un souvenir d’Alger, s’y acclimater, puis s’y agglutiner pour former de nouvelles pistes de recherches.
Il est fascinant de visiter son œuvre en compagnie d’Akila. Avant de retourner la toile ou le dessin pour en vérifier le titre et la date, elle dit ; « J’ai commencé ce travail à Alger avant de le finir à Marseille quelques années plus tard. C’était à tel moment de ma vie, de mes études, de mon enseignement ou de mon travail ». Fascinant car on comprend vite que chaque œuvre est en même temps une page de son carnet intime, jamais écrit, qu’elle retrouve en relisant ses créations plastiques. Depuis longtemps, sans doute depuis le début de son choix d’être artiste, elle a mis en place une mémoire additionnelle, évidente pour elle.Mais aussi perceptible par le spectateur : si celui-ci ne se contente pas d’un coup d’œil rapide, il pourra facilement reconnaître sous l’or ou la couleur intense des strates, des épaisseurs en provenance d’autres œuvres, d’autres géographies.
Il pourra apercevoir comment (et se laisser porter) par des déplacements entre villes, entre continents, entre vécu et travail, entre recherches et rêve, entre passé et futur, Akila construit une pensée mobile, toujours en interaction avec elle-même. Tout ce qui fait que le travail de l’artiste est une matière en mouvement, riche de ses détours et de ses replis, multipliant les secrets et les surprises, loin de l’image facilement identifiée et aussitôt oubliée.
On aura compris sans doute pourquoi, après ces quelques lignes, il faut regarder attentivement le travail peint d’Akila Mouhoubi.
François Bazzoli
Eté 2017